
Lépide
Origines et Jeunesse
Marcus Aemilius Lepidus naquit vers 89 av. J.-C. dans la prestigieuse famille patricienne des Aemilii, l’une des plus anciennes et influentes de Rome. Son père, également nommé Marcus Aemilius Lepidus, fut consul en 78 av. J.-C. mais tenta une rébellion contre le Sénat après son consulat, cherchant à renverser l’ordre établi par Sylla. Cette révolte échoua, et son père mourut en exil en Sardaigne. Cette tache sur la réputation familiale influença peut-être la prudence politique de Lepidus dans sa jeunesse. Le nom « Lepidus », dérivé du latin, signifie « gracieux » ou « charmant », reflétant peut-être une volonté de se distinguer par la diplomatie.
Carrière sous Jules César
Lepidus se rallia tôt à Jules César, figure dominante de la République romaine dans les années 50-40 av. J.-C. Sa loyauté envers César lui permit de gravir rapidement les échelons du cursus honorum (carrière politique romaine) :
- Préteur (49 av. J.-C.) : En pleine guerre civile entre César et Pompée, Lepidus fut nommé préteur et chargé de l’administration de Rome pendant l’absence de César, qui combattait en Espagne et en Grèce. Sa gestion efficace de la ville, dans un contexte tendu, renforça la confiance de César.
- Dictature de César : Lepidus joua un rôle clé en soutenant la nomination de César comme dictateur, un acte qui consolida son statut au sein du camp césarien.
- Gouverneur d’Hispanie Citérieure (48-47 av. J.-C.) : Après la victoire de César à Pharsale, Lepidus fut envoyé gouverner cette province stratégique. Il y réprima une rébellion pro-pompéienne, démontrant ses compétences administratives et militaires. César le récompensa en le nommant proconsul.
- Consul (46 av. J.-C.) : À seulement 43 ans, Lepidus devint consul aux côtés de César, une position prestigieuse marquant l’apogée de sa carrière pré-triumvirale.
- Magister Equitum (46-44 av. J.-C.) : En tant que « maître de la cavalerie », Lepidus était le principal lieutenant de César, alors dictateur. Ce rôle lui conféra une autorité militaire et politique significative.
Rôle après l’assassinat de César (44 av. J.-C.)
L’assassinat de Jules César aux Ides de Mars (15 mars 44 av. J.-C.) plongea Rome dans le chaos. Lepidus, alors magister equitum, se retrouva dans une position stratégique :
- Contrôle des troupes : Stationné près de Rome avec des légions fidèles à César, Lepidus devint un acteur clé dans les jours suivant l’assassinat. Il envisagea brièvement d’utiliser ses troupes contre les conspirateurs (comme Brutus et Cassius), mais opta pour la prudence.
- Alliance avec Marc Antoine : Lepidus s’allia rapidement à Marc Antoine, autre leader césarien, pour contrer les assassins et stabiliser Rome. Cette alliance fut scellée par un mariage : la fille de Lepidus, Aemilia, fut fiancée à un fils d’Antoine.
- Pontifex Maximus : Après la mort de César, Lepidus fut nommé grand prêtre de Rome, un poste religieux prestigieux qu’il conserva jusqu’à sa mort. Ce rôle renforça son influence symbolique.
- Gouverneur provincial : Il reçut le commandement de la Gaule Narbonnaise et de l’Hispanie Citérieure, où il négocia un accord avec Sextus Pompée (fils de Pompée le Grand), évitant un conflit ouvert.
Le Second Triumvirat (43-36 av. J.-C.)
En novembre 43 av. J.-C., Lepidus, Marc Antoine et Octavien formèrent le Second Triumvirat, une alliance légale officialisée par la Lex Titia. Ce triumvirat, contrairement au premier (César, Pompée, Crassus), disposait de pouvoirs quasi-dictatoriaux pour cinq ans, avec pour mission de venger César et de rétablir l’ordre.
- Répartition des territoires : Les triumvirs se partagèrent les provinces romaines. Lepidus reçut initialement la Gaule Narbonnaise et l’Hispanie, puis l’Afrique (actuelle Tunisie) après la bataille de Philippes (42 av. J.-C.), où Antoine et Octavien vainquirent Brutus et Cassius.
- Proscriptions : Les triumvirs lancèrent des proscriptions brutales, éliminant ennemis politiques et finançant leurs armées. Lepidus participa, bien que son rôle fut moins marqué que celui d’Antoine ou d’Octavien. Parmi les victimes figurait Cicéron, tué pour son opposition à Antoine.
- Rôle à Rome : Pendant que ses collègues combattaient à l’est, Lepidus resta souvent à Rome, supervisant l’administration et les cérémonies religieuses en tant que pontifex maximus. Cependant, son influence diminua face à la rivalité croissante entre Antoine et Octavien.
Chute et Exil (36-13/12 av. J.-C.)
Lepidus fut progressivement marginalisé dans le Triumvirat :
- Conflit avec Sextus Pompée (36 av. J.-C.) : Lors de la campagne contre Sextus Pompée, qui contrôlait la Sicile et menaçait les approvisionnements de Rome, Lepidus tenta de s’emparer de l’île pour renforcer sa position. Ses troupes, cependant, firent défection au profit d’Octavien, qui l’accusa de trahison.
- Destitution : Octavien, maître de la situation, dépouilla Lepidus de ses pouvoirs triumviraux et de ses provinces. Épargné grâce à son statut de pontifex maximus, il fut exilé à Circeii, une ville côtière au sud de Rome, où il vécut dans l’obscurité.
- Fin de vie : Lepidus passa ses dernières années loin de la politique, sous surveillance. À sa mort en 13 ou 12 av. J.-C., Auguste s’empara du titre de pontifex maximus, consolidant son contrôle religieux.
Famille
Lepidus épousa Junia Secunda, sœur de Marcus Junius Brutus (l’un des assassins de César), ce qui illustre les alliances complexes de l’époque. Ils eurent un fils, Marcus Aemilius Lepidus Minor, qui fut impliqué dans un complot contre Octavien en 30 av. J.-C. et exécuté. Cette tragédie marqua la fin de l’influence politique de la famille.
Héritage et Réputation
Lepidus est souvent décrit comme le « maillon faible » du Second Triumvirat, une image largement façonnée par la propagande d’Auguste, qui cherchait à minimiser ses rivaux. Les historiens antiques, comme Velleius Paterculus et Appien, le dépeignent comme indécis et peu ambitieux. Cependant, des analyses modernes nuancent ce portrait :
- Compétences diplomatiques : Lepidus excella dans la négociation, comme en témoignent ses accords avec Sextus Pompée et sa gestion de Rome sous César.
- Loyauté : Sa fidélité à César et son rôle stabilisateur dans les crises post-assassinat montrent une certaine habileté politique.
- Victime de la politique : Face à des figures comme Antoine (charismatique et militaire) et Octavien (stratège politique), Lepidus manquait de l’ambition ou de la ruse nécessaires pour rivaliser.
Dans la culture populaire, Lepidus apparaît dans des œuvres comme Jules César de Shakespeare, où il est relégué à un rôle mineur. Son importance historique réside dans son rôle de transition entre la République et l’Empire, bien qu’il ait été éclipsé par l’ascension d’Auguste.
Sources Historiques
Les principales sources sur Lepidus incluent :
- Appien (Guerres civiles) : Détaille le Triumvirat et les proscriptions.
- Velleius Paterculus : Critique Lepidus, reflétant le point de vue augustéen.
- Suétone et Plutarque : Mentionnent son rôle sous César et dans le Triumvirat. Ces sources, souvent biaisées, nécessitent une lecture critique, car elles furent écrites sous l’influence du régime d’Auguste.